Jusqu'à présent, tu refusais de parler aux journalistes. Pourquoi?

Je ne prends rien au sérieux, ni la presse ni le groupe. J'analyse tout ce qui nous arrive avec une grande froideur: je sais que dans un an ou deux, les gens ne s'intéresseront plus à Portishead. Les journalistes seront repartis, à la poursuite du nouveau groupe à la mode. Et ce jour-là, je veux pouvoir me regarder dans une glace, pouvoir me dire que j'ai été honnête, franche, sincère. Je ne veux pas me retrouver seule et misérable, dans le rôle de la petite star déchue... J'ai accepté cette interview dans le seul but d'aider Geoff (Barlow, le musicien du duo), qui se tape tout le boulot depuis des mois. Au départ, nous nous étions mis d'accord : il donnait les interviews et je posais pour les photos. Lorsque les premiers journalistes sont venus nous rencontrer à Bristol, j'éclatais de rire dès qu'on me posait une question. Je devenais toute rouge, j'étais obligée de quitter la pièce. Il y avait un tel décalage entre l'idée que les journalistes se faisaient du groupe et la réalité. J'avais l'impression que tout allait nous échapper, qu'on allait faire de Portishead un monstre, à force d'inventions et de déformations. Pour moi, ne pas parler n'était donc pas une attitude, un coup, un calcul, mais un moyen de me protéger. Je connais des tas d'écrivains qui ne parlent pas et ça ne choque personne. Personnellement, je n'ai jamais pensé que Dummy était un disque particulièrement excitant, contrairement à ce que tant de gens disent. Je me demande encore pourquoi on veut me rencontrer.

Au début, que ressentais-tu en voyant ton visage en couverture des magazines ?

J'ai souvent l'impression qu'il y a deux Beth Gibbons : la première, publique, qu'on voit dans les journaux. Et l'autre, que personne ne reconnaît jamais dans la rue, la fille de la campagne qui a grandi au milieu des vaches. Moi, je ressemble aux femmes de ma région, pas à Madonna… J'ai été élevée loin de tout, dans une ferme. Mes parents ont divorcé quand j'étais toute petite, il n'y avait donc pas d'homme à la maison : nous avons toujours vécu entre filles - avec ma mère et mes trois soeurs, Anna, Kathreen et Lydia. A 61 ans, ma mère qui vit maintenant seule doit se débrouiller avec son bétail, une vingtaine de têtes. Elle est tellement courageuse… La ville la plus proche, Exeter, se trouvait à des dizaines de kilomètres de chez nous. Au mieux, on s'y rendait une fois par mois. Pourtant, j'étais assez heureuse : nous avions énormément de travail à la ferme, tout le monde se retroussait les manches - pas le temps d'avoir des états d'âme. A 17 ans, j'ai vu quelques copines partir pour la ville. Moi, je préférais rester à la ferme et aider ma mère. Beaucoup trop fainéante, je n'avais pas le niveau pour aller à l'université... J'ai quitté la ferme une première fois pour m'installer avec un garçon, mais quelques mois plus tard, je suis revenue chez maman. Finalement, j'y suis restée jusqu'à mon vingt-deuxième anniversaire.

Comment as-tu découvert le chant ?

Nous n'avions que quelques disques : des vieilles compilations sans intérêt, deux ou trois albums de vainqueurs du concours de l'Eurovision. La musique ne m'intéressait pas particulièrement, je me contentais de chantonner en écoutant la radio. J'ai toujours pensé que ma voix était sans intérêt... J'étais la cadette de la famille et passais mon temps à suivre mes soeurs en tentant de me faire accepter. Comme elles - et comme tous les gamins de la région -, j'allais à l'école par obligation : je préférais être chez moi ou avec les animaux, en pleine nature. Apprendre l'histoire ou la littérature me semblait inutile, j'en savais assez pour vivre paisiblement. A 18 ans je me suis inscrite dans une école de tourisme puis je suis partie à l'étranger pendant deux semaines ; là, j'ai réalisé que je ne supportais pas l'idée d'être loin de chez moi. Alors, j'ai pensé devenir nourrice.

Que disent tes parents de ta nouvelle vie ?

Mon père n'a pas d'opinion - je ne le vois quasiment plus. Ma mère, il y a encore un an, me disait de tout lâcher, de trouver un mari solide et de faire des gosses. Dans le Dorset, beaucoup de gens pensent encore qu'il n'existe pas d'autre vie possible... Avoir vécu seule avec ma mère m'a rendue très indépendante. Je peux vivre sans homme. Si ma voiture tombe en panne, je sais la réparer - je m'y connais assez en mécanique pour dépanner un tracteur. Spirituellement, je ne sais pas très bien, je m'interroge... Dans mes expériences passées, je n'ai jamais réussi à détruire entièrement ce mur qui me sépare des hommes.

 

 

 

Interview honteusement copiée collée du site http://www.culturebeat.net
(faut dire qu'il n'existe pratiquement pas d'interviews de Portishead alors je peux pas les inventer).

Voici donc l'interview de Portishead du film Welcome To Portishead diffusé Samedi 4 avril 1998 sur Arte dans l'excellente émission Music Planet (23h35).
(Le film commence par la 6ème chanson de l'album Portishead : Humming)

Geoff Barrow : On étaient les gars de Portishead pour notre manager. Il disait toujours "Voilà les gars de Portishead". Et quand il a fallu trouver un nom, on a dit qu'on s'appelait Portishead et c'est resté. Les gens d'ici trouvaient çà à chier. Ils refusaient d'acheter le disque parce qu'il s'appelait Portishead. Comme ce gars qui aime notre musique et qui dit à un disquaire de Bristol "Je peux pas acheter un disque qui s'appelle Portishead, c'est trop la honte". Il y avait une aide du gouvernement : 400 francs par semaine pour monter sa propre boîte. On était tous autour d'une table avec un type qui demandait ce qu'on voulait faire. Nous on a dit qu'on voulait produire des musiciens. Une fille a dit "J'aimerais être chanteuse". A la pause café elle est venue nous demander qu'elle musique on faisait et on ne s'est plus quittés.

(Live : Glory Box)
Je suis fatiguée de jouer
Avec ces arcs et ces flèches
Je vais me débarasser de mon coeur
Laisser les autres filles jouer avec
J'ai été trop longtemps une tentatrice
Donne moi une raison de t'aimer
Donne moi une raison d'être une femme
Je veux juste être une femme

Geoff Barrow : Elle ne fait pas semblant. Ce ne sont pas seulement des paroles de chansons mais ses véritables émotions. Elle met tout, tous ses sentiments dans la musique et se livre complètement. je trouve ça génial. Sa voix me surprend à chaque fois. J'essaie toujours de jauger les gens mais avec Beth je n'y arrive jamais. Elle change constamment. Elle aime dire la vérité et certain ne s'y font pas. Dans le métier, on dit des choses comme "J'ai adoré ton album". Et elle "Ton album j'ai pas accroché". Et moi je suis là "Qu'est-ce qu'elle fait ?". Elle aime dire la vérité. Elle pense que ça rend service aux gens. Elle ne tient pas à occuper le devant de la scène. Si elle pouvait rester au fond, elle le ferait.

Beth Gibbons : Je ne tiens pas à être une pop star. Je ne veux pas être prise pour ce que je ne suis pas, pour quelqu'un de mystérieux ou d'intéressant. Je suis comme tout le monde.

(Live : Wandering Star)
Pourrais-tu rester un peu
Pour partager mon chagrin
Etoiles vagabondes
Pour ceux à qui est réservé
La noirceur de l'obscurité
Pour toujours
Ceux qui ont vu
Le chas de l'aiguille erre désormais
Comme une cosse dont le contenu se serait envolé
Comme les masques que portent les monstres
Pour dévorer leurs proies
Pliée de douleur à l'intérieur
Il me faudra du temps
Pour remiser mon chagrin

Beth Gibbons : Je crois au pouvoir des mots mais je pense qu'il est difficile d'expliquer ce qu'on veut dire ou de trouver les bons mots. Le mieux, c'est les chansons. Avec mes chansons, j'essaie juste de communiquer les sentiments que nous éprouvons tous. J'essaie d'être plus précise et de communiquer pas tant des mots que des émotions.

Adrian Utley : Elle aime bosser les textes et les mélodies toute seule mais elle nous téléphone souvent, c'est un peu comme si elle était là. Nous avons notre façon de travailler, et elle, la sienne. Ce serait une intrusion d'aller chez elle, dans son studio. Ca ne se passe pas comme çà. Quand on travaille ensemble, on a nos propres méthodes et ça fonctionne comme ça.

Geoff Barrow : On travaille beaucoup ensemble dès le début, dès l'étincelle initiale, au moment où les choses commencent à prendre forme. Mais avec Beth, on joue des choses qui tiennent déjà la route. Et elle c'est pareil, elle préfère finir sa partie avant de venir. Mais c'est chouette de jouer tous ensemble autant que possible.

Adrian Utley : En général çà commence ici même avec nous trois (Geoff, Adrian, Dave) sans Beth. On travaille les pistes rythmiques et harmoniques avec tous les instruments que l'on a ici. Puis on envoie ça à Beth qui écrit sa musique par-dessus. Pour nous, une chanson ça peut durer 8 mois. Il faut que chaque chose soit à sa place pour qu'il n'y ait pas de... . On ne veut rien laisser au hasard, on veut que ça soit abouti. Mêmes les intervalles entre 2 chansons sont minutés.

Dave Mc Donald : On peut en discuter pendant une demi-journée : "Combien de silence entre deux chansons ?". On étudie chaque cas de figure jusqu'au moment tout le monde est d'accord. Cela tourne à l'obsession chez nous. On ne parle pratiquement que de musique. On en devient claustrophobe.

(Live : Sour Times)
Faire semblant de ne pas saisir
Les illusions de la toute matinale
Fruit défendu, yeux masqués
Ces politesses que je méprise en moi
Vas-y tu peux tirer maintenant
Car personne ne m'aime c'est vrai
Car personne ne m'aime c'est vrai
Comme toi
Qui suis-je et pourquoi ?
Car il ne me reste
Que mes souvenirs
Ces moments amers

Geoff Barrow : Quand "Dummy" est sorti il n'y avait rien de tel sur le marché, il a comblé un vide. "Dummy" a été encensé par la critique et s'est bien mieux vendu que ce qu'on avait prévu. Et là on se détend car on a atteint ce pour quoi on s'était battu depuis toute sa vie en tant que musicien. Et tout à coup, cette chose... C'est comme le gars qui veulent escalader l'Everest. C'est son seul but dans la vie et il l'atteint. Une fois redescendu il se dit "Et maintenant ?". Cela prends tu temps. On passe sa vie à essayer d'atteindre ce but et puis en l'espace d'un an, six mois, 2 ans... il faut retrouver tout çà pour le 2ème disque.

Adrian Utley : Enregistrer un 2ème album a été difficile car le vocabulaire que nous avions inventé était devenu le langage courant. Tout le monde pouvait le parler et quelques-uns le faisaient. On a fait de gros efforts pour ne pas sonner comme nous-même. Cela a été un problème pendant un moment. On s'est dit qu'il valait mieux évoluer mais on a fini par faire comme toujours à savoir faire de la musique et voir ce que çà donne. On a dit que "Dummy" était un album pour salon de thé du genre "on va faire un bon dîner entre amis en écoutant Portishead". C'est çà qui m'a poussé à faire un autre disque plus dur et plus vif. Pour que les gens l'écoutent et ne puissent plus se contenter de dire "C'est joli"

(Live : Mysterons)
Dans tes faux-fuyants
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier
Le voulais-tu vraiment ?
Refuse de te rendre
Séparé jusqu'à être déchiré en morceaux
Qui ose...
Qui ose condamner
Tout pour rien

Geoff Barrow :C'est un endroit créatif, on n'a pas la pression des grosses maisons de disques londoniennes. Voilà pourquoi la musique expérimentale est si bonne. A Londres, l'industrie du disque est omniprésente mais pas à Bristol. Les gens vivent à leur rythme ici. ils aiment vraiment la musique. Il y a beaucoup de musiciens et de groupes excellents.

Pip Diaz (Label Cup of Tea - Bristol) : Tout le monde fait de la musique ici. Tous les gens que je connais en font ou connaissent des musiciens. Quand ils ne jouent pas en groupe, ils en font dans leurs chambres avec des samplers.

Andy Smith : Geoff et moi on a grandi à portishead. J'organisais des soirées hip-hopà la maison des jeunes de Portishead. Les jeunes n'étaient pas très branchés hip-hop à l'époque à part Geoff. on s'est connu comme çà, grâce à notre passion commune pour le hip-hop. Au début, j'allais chez lui avec des tonnes de disques parce qu'il avait un sampleur et un clavier. Mais il n'avait pas grand chose à sampler alors je lui apportais tous mes vieux disques. on les écoutait toute la nuit pour faire le tri. Il prenait des passages que je lui proposais tellement j'avais de disques. Les 1ères maquettes de "Dummy" ont été élaboré comme çà.

Geoff Barrow :J'ai arrêté mes études de graphisme au bout de 9 mois parce que j'étais daltonien. J'adorais dessiner. J'aimais bien l'idée d'être artiste mais j'étais daltonien et dyslexique, c'était peine perdue. Pendant des années je n'ai pas fait grand chose. Je voulais faire de la musique. J'ai trouvé du boulot dans un studio. Mon père a travaillé toute sa vie. Il était routier. A 16 ans il était jardinier. Il s'est fait viré après avoir bossé pendant 20 ans. Et le lendemain de son licenciement il était devant le bureau de l'ANPE à 6 h du matin pour trouver du travail. Je viens d'une famille qui a une vraie éthique du travail. On bosse, on gagne de l'argent pour vivre. Moi je faisais de la musique mais je ne gagnais pas un sou. Ce n'était pas ce à quoi s'attendaient mes parents. Ils m'ont soutenu à fond mais parfois mon père avait du mal à comprendre. Maintenant il est ravi. Moi je préfère ne pas avoir d'argent mais faire quelque chose qui me plaise vraiment.

(Studio : Half Day Closing)
En ces jours bénis
Où tout le monde savait
Ce qu'il voulait
Ces jours ne sont plus
En ce temps où l'amour durait
Quand les parents parlaient
De choses essayées et approuvées
Cela n'a mené à rien
Rêves et croyances ont disparu
Le temps...
La vie continue
Au-delà des dieux craintifs
Où l'argent nous hypnotise
Cela ne mène à rien
Sous le soleil couchant
Le calcul silencieux
D'un homme d'affaires
Nous laisse en train d'étouffer

Beth Gibbons : Les apparences sont toujours trompeuses. Je voudrais que les gens réalisent, en me voyant rire comme çà, à quel point il y a une différence entre l'intérieur et l'extérieur. Les êtres humains savent très bien se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas. La plupart d'entre nous se cachent derrière une personnalité factice mais au fond nous sommes tous les mêmes, on se sent tous paranoiaques, malchanceux dans la vie avec des chagrins d'amour, des problèmes de famille ... des choses normales. Bref, les apparences sont trompeuses. Quelle que soit l'impression que je donne, ce n'est pas un bon portrait de ce que je suis.

(Live : Roads)
Personne ne voit donc
Que nous avons une guerre à mener
Nous n'avons jamais trouvé notre voie
Quoi qu'ils en disent
D'où vient cette impression
Que çà cloche à ce point
...
Une tempête
Dans la lumière du matin
Je sens
Je ne peux pas en dire plus
Je suis coupée de moi-même
Je n'ai personne à mes côtés
Et ce n'est pas normal


(Live : Strangers)
Quelqu'un aperçoit-il la lumière ?
Quand l'aube rencontre la rosée
Et la marée monte
Ne sais-tu pas
Que cette vision t'appartient
Surmonte la peur de la vie
Par ce seul désir

Wandering Stars par Zouvage © 2003-2006